Au Cameroun, les personnes gays affirment qu’il est difficile de concilier leur foi et leur orientation sexuelle

YAOUNDE, Cameroon – Quant au discours religieux, les leaders de toutes les confessions religieuses présentes au Cameroun ont le même discours, celui de la condamnation de l’homosexualité.

Creative Commons Cameroon flag image by Nicolas Raymond via Flickr.

This article is part of a series produced for Religion News Service’s parent organization Religion News Foundation with support from the Arcus Foundation and Heinrich Böll Stiftung Southern Africa. It emerged from a November 2017 journalism training workshop in Cape Town, South Africa.

YAOUNDE, Cameroon – Jaurès, chrétien catholique, affirme qu’il est «né dans une famille très pieuse». Le jeune homme, dont le nom de famille n’est pas mentionné pour protéger son identité, affirme aussi qu’il se sent toujours mal lorsqu’il va à l’église. Ce qui le met mal à l’aise, c’est le discours de son prêtre.

«Le prêtre dit que les hommes qui couchent avec d’autres hommes sont en contradiction avec la volonté de Dieu. Il parle de malédictions, d’enfer. Ça me perturbe. J’ai parfois des envies de suicide», explique Jaurès.


L’homme de 29 ans est gay. Pendant près de 10 ans, il a été enfant de cœur dans l’église de son quartier de Douala, la capitale économique du Cameroun, mais il n’a jamais osé parler de sa sexualité dans sa paroisse.

Il est depuis presqu’un an, suivi par un psychologue de Humanity First, une ONG de défense des droits humains basée dans la ville de Yaoundé, la capitale administrative du Cameroun. Jaurès affirme que cet appui psychologique ne l’aide malheureusement toujours pas à trouver le bon équilibre entre sa croyance religieuse et son orientation sexuelle.

Comme Jaurès, plusieurs personnes gays vivant au Cameroun ont du mal à concilier leur foi et leur orientation sexuelle. Nickel Liwandi, le directeur exécutif de Camfaids, une association camerounaise de défense des droits humains et de lutte contre le VIH/Sida, dit que deux raisons principales en sont la cause: «le discours dur des leaders religieux ainsi que la loi camerounaise qui réprime les rapports intimes entre personnes de même sexe».

Le Cameroun est un pays laïc dans lequel plusieurs religions se côtoient. Pour une population estimée à environ 23 millions d’habitants, près de 69% sont chrétiens (la plupart catholiques et protestants), 21% sont musulmans, et 6% sont animistes.

La loi camerounaise interdit la sexualité entre personnes de même sexe. L’article 347 bis du code pénal du Cameroun par exemple «punit d’un emprisonnement de six mois à cinq ans, et d’une amende de 20 000 Fcfa (30 euros) à 200 000 Fcfa (300 euros), toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe».

La plupart des leaders d’opinions, tout domaines confondus, ont un discours homophobe. Certains journaux, par exemple, publient souvent sous forme de dénonciation des listes de personnes présumées gays.


Quant au discours religieux, les leaders de toutes les confessions religieuses présentes au Cameroun ont le même discours, celui de la condamnation de l’homosexualité.

L’Eglise catholique, la confession religieuse qui compte le plus grand nombre d’adhérents au Cameroun, produit en 2013 un document officiel appelé «Déclaration des évêques». Cette déclaration dit: «Nous, évêques du Cameroun, réitérons notre désapprobation de l’homosexualité et des unions homosexuelles. Exhortons à cet effet, tous les croyants et les personnes de bonne volonté à rejeter l’homosexualité et le soi-disant mariage homosexuel et à accompagner cependant ceux qui sont enclins à l’homosexualité et les homosexuels dans la prière, le suivi spirituel et la compassion en vue de leur conversion».

Cette même déclaration ajoute: «l’homosexualité n’est pas un droit de l’homme, mais une aliénation qui nuit gravement à l’humanité parce qu’elle n’est fondée sur aucune valeur propre à l’être humain». La déclaration, qui a été signée par tous les évêques du Cameroun, ajoute plus loin que l’homosexualité: «est une abomination (lévitique 18,22) comme l’atteste la tradition biblique».

De son côté, la communauté musulmane n’a pas fait de déclarations communes officielles. Mais, lors des sermons à l’occasion de grandes célébrations, certains leaders de la communauté musulmane donnent leur point de vue sur ce sujet. En 2016, lors du sermon à l’occasion de l’Aïd al-Adha, Cheikh Moubarak Mbombo Ibrahim, le président national de la conférence des imams du Cameroun, a déclaré que l’homosexualité est une «perversion», une «pratique avilissante».

Depuis peu, quelques ONG, à l’exemple de Humanity First Cameroon, ont décidé de sensibiliser les leaders religieux.

«Nous voulons agir avec les leaders d’opinion sur le discours homophobe. Ces leaders ont une grande influence sur la vie de ceux qui les écoute. Parfois, ils ne se rendent pas compte des dommages que leurs discours peuvent causer», explique Yves Tonkeu, chargé des droits humains au sein de Humanity First Cameroon, qui est l’une des principales ONG de défense des droits humains de Yaoundé.


Tonkeu affirme que l’intolérance religieuse peut être à l’origine de certains troubles de la personnalité chez les personnes LGBTQI.

«L’intolérance religieuse retire l’estime de soi aux individus. Le discours religieux inadapté donne le sentiment au croyant qu’il est un sous homme, un être humain perdu, qu’il est anormal, une créature du diable. C’est très perturbant pour certains», explique-t-il.

Concrètement, Humanity First Cameroon organise des rencontres régulières avec les leaders religieux des principales confessions religieuses du pays pour discuter sur les conséquences de leur discours et échanger des arguments.

Même si on ne constate pas encore un changement de discours, les ONG qui sont dans cette dynamique, à l’exemple de Humanity First Cameroon ou encore Alternatives Cameroun, disent apprécier le fait que ces leaders commencent à accepter de s’asseoir et d’échanger avec les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes ainsi qu’avec des lesbiennes.

«Le changement sera progressif. En attendant, nous travaillons aussi à fortifier le mental des personnes gays et à leur redonner l’estime d’elles-mêmes», explique Paul Thierry Mbida, lui aussi membre de Humanity First Cameroon.

D’autres personnes gays s’adaptent comme elles peuvent. C’est le cas de Guy-Martial, membre d’une église protestante du Cameroun qui a décidé de développer une relation directe avec Dieu.


«Un jour, je suis allé au culte. Durant tout le prêche, j’ai eu l’impression que le prêtre s’adressait directement à moi. Il parlait des gens qui se détournent de la face de Dieu en s’adonnant à des pratiques contre-nature. J’ai été très mal à l’aise et j’ai eu marre des multiples reproches. Depuis, pour éviter ce malaise, je ne vais plus à l’église. Je prie chez moi. Je parle directement à Dieu. De toutes les façons, la foi est dans le cœur et non dans les bâtiments», conclu Guy-Martial.

Anne Mireille Nzouankeu est une journaliste à Yaoundé.

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